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Lutte contre le financement du terrorisme et crowdfunding : 3 règles d'or
L'article du Nouvel Observateur reprend les conclusions du dernier rapport du Sénat (http://www.fatf-gafi.org/media/fatf/documents/reports/Financing-of-the-terrorist-organisation-ISIL.pdf) lequel met en garde sur "les risques de financement d'activités terroristes liées à l'activité du financement participatif".
L’article fait référence au rapport du GAFI (Groupe d'Action Financière), http://www.fatf-gafi.org/media/fatf/documents/reports/Financing-of-the-terrorist-organisation-ISIL.pdf, dans lequel sont décrites quelques-unes des techniques les plus couramment utilisées pour financer le terrorisme via internet. Il cite l'exemple d’un appel aux dons sur la plateforme américaine Kickstarter ( Affaire : Mattew Van Dyke) et dont la campagne aura été suspendue compte tenu du caractère incertain de l'usage des fonds collectés.
Les techniques de blanchiment et de financement du terrorisme sont nombreuses et utilisent de plus en plus Internet
Les techniques utilisées pour blanchir de l’argent et financer le terrorisme sont nombreuses et de plus en plus sophistiquées (CF rapport du GAFI). Elles mettent souvent en jeu un nombre important d’acteurs. Elles ont toutes comme point commun de rendre opaque la circulation de l'argent en rompant la chaîne de traçabilité des flux, rendant impossible l'identification de l'affectation finale des fonds collectés.
Parmi les techniques utilisées on trouve l’Internet. C’est une réalité qui tend même à se développer. Il est donc logique que les politiques se saisissent du sujet et que dans ce cadre, qu’on le veuille ou non, la finance participative ou crowdfunding soit aujourd'hui interpellée.
Les plateformes de financement participatif ont conscience des risques, mais certaines règles méritent d’être renforcées
De nombreuses plateformes ont d’ores et déjà adoptées des règles et des mesures de prévention pour lutter contre le blanchiment de l’argent et le financement du terrorisme.
Elles doivent certainement mieux le faire savoir et agir dans ce sens auprès du public.
Les interrogations légitimes que suscite l’actualité doivent cependant les pousser rapidement et davantage encore à renforcer et compléter ces règles et ces mesures de prévention. Quelles sont-elles ? Quelles sont à tout le moins les 3 règles d’or à suivre ?
Trois règles d’or sont à adopter:
- - Règle N° 1 : Connaître son client
- - Règle N°2 : Être en capacité de tracer tous flux financiers
- - Règle N° 3 : Contrôler l'affectation des fonds
Règle N°1 : Connaître son client (porteur de projet et contributeur)
La plateforme doit parfaitement connaître ses clients porteurs de projets et mettre en place une procédure d'entrée en relation qui passe notamment par la collecte de documents justifiant de l'identité du porteur de projet.
La fiabilité du processus (appelé processus KYC : Know Your Client) doit permettre d'identifier les potentiels fraudeurs, elle passe par la mise en place de contrôles de cohérence stricts des documents fournis incluant l'usage d'outils de détection de faux documents. Elle passe aussi par l’identification du bénéficiaire effectif des fonds, par la compréhension de l’objectif économique du projet et enfin par l’identification (le bon sens) d’anomalies éventuelles.
Règle N°2 : Etre en capacité de tracer les flux financiers
La plateforme doit impérativement disposer d'un système d'information très automatisé qui lui permette de tracer l'ensemble des flux financiers.
Il est dans ce cadre fortement souhaitable de créer un compte de paiement ou e-wallet par donateur / contributeur versus les cas de figure où les fonds sont directement affectés au porteur de projet (ou au bénéficiaire effectif) et directement noyés dans la masse. Faire transiter les flux par un compte de paiement ou un e-wallet donateur permet par exemple de déclencher des alertes fraudes de mouvements de fonds anormaux, de mieux tracer ces derniers et d’éviter leur « fuite ».
Règle N°3 : Pouvoir comprendre l'affectation des fonds
Comprendre à quoi vont servir les fonds et contrôler leur affectation serait l’idéal. C’est sans doute aujourd’hui ce qui est le moins réalisé en dépit de la mise en oeuvre de la règle numéro 1. C’est ce sur quoi, il convient sans doute encore de réfléchir et de progresser :
Deux critères a minima sont à considérer :
- - La nature du projet
- - Les montants concernés
Il conviendrait alors dans les cas douteux de contrôler l’affectation des fonds. Cela peut par exemple se faire simplement en matière de prêts étudiants où les fonds collectés seraient versés directement à l’organisme de formation. Cela se fait déjà s’agissant de fonds attribués par des ONG au profit de pays à risque pour des sommes à affecter à des programmes de développements. Cela s’est fait longtemps en France par la Banque de France, lorsque celle-ci jouait un rôle dans l’octroi direct de crédits. Cela se fait encore en matière de prêts immobiliers, les fonds étant affectés chez le notaire.
Il convient sans doute à cet égard de légiférer mais avec discernement de manière à ne pas jeter « le bébé avec l’eau du bain ».
La réglementation française en matière de financement participatif et de lutte contre le terrorisme peut elle être encore améliorée ?
La France dispose sans doute aujourd’hui du meilleur arsenal règlementaire. (Ordonnance de Mai 2014 et décret d’application d’octobre 2014).
Le gouvernement, les autorités de tutelle et les acteurs du secteur se sont intelligemment concertés pour permettre l’essor d’un phénomène qui répond aux besoins de l’économie en même temps qu’à des tendances sociétales fortes, tout en contrôlant au sens anglo-saxon du terme ( to control= maîtriser) celui-ci.
Notons par exemple que toute plateforme doit passer par un établissement de paiement ou équivalent régulé pour assurer sa collecte d'argent, ce qui n’est pas le cas par exemple Outre-Atlantique , à tout le moins avec les mêmes degrés d’exigence.
À notre avis , la solution ne vient pas obligatoirement aujourd’hui du législateur, en France, en tous les cas, exception faite peut être des conditions de renforcement de la règle numéro 3.
En revanche, il apparaît que les « best practices » pourraient être au delà de la mise en œuvre.
À cet égard, toute plateforme pourrait au delà de la mise en œuvre des 3 règles d’or ci-avant énoncées se poser systématiquement les questions suivantes :
- - Existe-t-il une séparation stricte des comptes entre le contributeur, le porteur de projet et la plateforme; autrement dit, n'y a-t-il pas un risque de mélange entre les comptes différents aux utilisateurs d’une plate-forme de finance participative ?
- - Lorsqu’il est dit dans les campagnes dites de « tout ou rien » que les montants collectés pour le compte du porteur de projet ne peuvent pas être virés sur son compte avant que les conditions de réussite de la campagne ne soient remplies. Quelle garantie, y a-t-il à ce que ce principe soit respecté ?
- - Existe – t– il ce qu’il est coutume d’appeler « piste d’audit », c’est à dire la capacité à tracer rapidement et de manière fiable tous les mouvements ?
- - Peut-on bloquer des opérations en cours ?
- - La plateforme et l’établissement de paiement associé s’est-elle dotée de règles de lutte contre le blanchiment et le financement du terrorisme précises et effectivement appliquées ?
- - La plateforme s’est-elle dotée d’une charte et de règles en matière de déontologie ?
- - La plateforme s’est-elle dotée d’une charte de contrôle interne ?
En conclusion
La lutte contre le blanchiment de l’argent et le financement du terrorisme est une lutte de tous les instants. Une partie des professionnels du secteur de la finance participative ont déjà pris la mesure du sujet. L’arsenal législatif et règlementaire est bon pour autant qu’il soit appliqué. Sans doute peut-il être en certains points complétés notamment s’agissant du contrôle de l’affectation des fonds. Il serait à tout le moins souhaitable que le label de qualité octroyé par les autorités soit donné non seulement aux plateformes qui respectent le nouveau cadre lequel symbolise la transparence et le respect des investisseurs, mais aussi et seulement à celles qui assurent :
- - la sécurité technique et physique des « dépôts » des fonds confiés pour permettre la pérennité du système.
- - le respect des règles d’or destinées à lutter contre le blanchiment de l’argent et le financement du terrorisme !
Article rédigés par Michel IVANOVSKY, Président de MIPISE et Jean-Michel ERRERA, Directeur Général de MIPISE.